Œdème maculaire au cours des uvéites


Article paru dans le Tyndall n° 58.
Docteur Christine Fardeau
Service d’Ophtalmologie, Centre de Référence des Maladies Rares,
Hôpital de la Pitié-Salpêtrière,
Université Pierre et Marie Curie, Paris VI

NB : un lexique détaillant les abréviations se trouve en fin d’article.

Introduction

L’œdème maculaire (OM) inflammatoire est un épaississement maculaire par accumulation de liquide intrarétinien ou sous-rétinien par rupture des barrières hémato-rétiniennes BHR. Il peut compliquer les uvéites de toute localisation, antérieure, intermédiaire, postérieure, ou panuvéite, et de toutes étiologies, auto-immunes locales ou systémiques, infectieuses, tumorales, ou encore idiopathiques.

L’uvéite est la cinquième cause de cécité dans les pays à niveau de vie élevé. Au cours des uvéites, l’OM est la première cause de baisse d’acuité visuelle et l’acuité visuelle a été retrouvée inférieure à 20/40 dans un tiers des uvéites postérieures.

Les causes d’uvéites les plus connues sont les uvéites antérieures liées au HLA B27, l’arthrite juvénile idiopathique (AJI), la sarcoïdose, la maladie de Behçet, l’ophtalmie sympathique et les rétinites infectieuses.

Pathophysiologie de l’œdème maculaire uvéitique

En dehors de l’œdème maculaire inflammatoire, d’autres causes d’OM peuvent survenir au cours des uvéites, en particulier en cas de :

  • néovascularisation choroïdienne ;
  • traction vitréomaculaire ;
  • contiguïté avec un œdème papillaire ;
  • choroïdite séreuse centrale aggravée par la corticothérapie systémique.

Les signes fonctionnels de l’OM uvéitique

Ils incluent d’abord une baisse de l’acuité visuelle de près. Un syndrome maculaire peut être présent avec micropsie, métamorphopsies, et un scotome relatif positif ; souvent le patient dit voir “à travers une goutte d’eau”.

La baisse d’acuité visuelle est très variable, accentuée par les lésions des photorécepteurs et par les phénomènes ischémiques parfois associés.

Diagnostic

Le diagnostic est assuré par l’OCT gold standard, non invasif, reproductible, et sensible, fournissant une analyse quantifiée (retinal map) et qualitative. Il peut montrer l’accumulation de logettes dans les plexiformes interne et externe, les lignes correspondant aux photorécepteurs plus ou moins conservés, le liquide sous-rétinien, des points hyper-réflectifs, une membrane épirétinienne, une traction vitréomaculaire. L’OCT détecte aussi les autres causes d’OM au cours des uvéites comme la néovascularisation prérétinienne, les œdèmes de contiguïté. Systématiquement y est associé un OCT de la tête du nerf optique en raison de la possibilité de glaucome uvéitique associé.

L’angiographie rétinienne à la fluorescéine FA, volontiers associée à l’infracyanine ICGA, a de multiples intérêts :

  • mettre en évidence des vasculites passées inaperçues à l’examen ophtalmoloscopique ;
  • préciser l’extension des vasculites ;
  • évaluer leur activité inflammatoire par l’importance de l’imprégnation pariétale tardive puis du « leakage » ;
  • préciser le mode d’atteinte purement veineux ou mixte artériel et veineux ;
  • préciser leur caractère occlusif et les complications néovasculaires prérétiniens, prépapillaires ou choroïdiennes ;
  • apporter des arguments étiologiques ;
  • évaluer la réponse thérapeutique.

Le compartiment capillaire sera aisément analysé pouvant mettre en évidence les territoires ischémiques ou une capillarité œdémateuse. Les complications néovasculaires seront aisément mises en évidence. L’analyse du remplissage de la choriocapillaire et du fond choroïdien peuvent apporter des arguments étiologiques.

Sont systématiquement associés un OCT (Optical Coherence Tomography) et un champ visuel.

En ICGA les nodules choroïdiens, aisément visibles, sont compatibles avec rétinochoroïdopathie de type birdshot, la sarcoïdose, les infections telles que la Tuberculose, la Toxoplasmose, la syphilis, la maladie de Lyme, les herpès virus, et les bartonelloses, et bien sûr l’ophtalmie sympathique. De très nombreux micronodules sont présents dans le Vogt-Koyanagi-Harada.

Au cours de l’uvéoméningite de Vogt-Koyanagi-Harada, l’œdème maculaire est polylobé intra et sous-rétinien, associé à une inflammation cellulaire du vitré. Il existe de façon concomitante une épaisse choroïdite diffuse, homogène et bilatérale, et un retard de perfusion choroïdien artériel, capillaire puis veineux, alors que les vaisseaux rétiniens sont indemnes.

La concordance entre fuite du colorant au temps tardif de la FA et la présence de logettes en OCT peut manquer et plusieurs mécanismes ont été invoqués en particulier celui d’un flux protéique très lent et la localisation intracellulaire de l’œdème.

Diagnostic étiologique

Le bilan est guidé par quatre chapitres :

  1. l’âge et le statut immunitaire du patient ;
  2. les signes inflammatoires intra et peri-oculaires décrits en détails ;
  3. les résultats de FA et ICGA ;
  4. les signes systémiques recueillis par l’interrogatoire, les examens cliniques et paracliniques.

L’âge est un facteur important d’orientation. Avant 5 ans, prédominent les infections (toxoplasmose, toxocarose), les atteintes systémiques par AJI et les néoplasies (leucémie, rétinoblastome). Chez les ados et jeunes adultes, prédominent les infections (Toxoplasmose, virus de l’herpès) et les inflammations systémiques (sarcoïdose, spondyloarthropathies, la maladie de Behçet, sclérose en plaques et les maladies des tissus conjonctifs). Chez le patient âgé prédominent les inflammations systémiques telles que la sarcoïdose, le syndrome d’Irvine-Gass, les rétinites infectieuses et néoplasies (lymphome).

  • Dysimmunité systémique :
    • Sarcoïdose (granulomatose systémique)
    • Behçet (vascularite systémique)
    • Sclérose en plaques
    • Collagénoses (Lupus érythémateux disséminé, Sclérodermie, Polychondrite atrophiante)
    • Vascularite systémique nécrosante (granulomatose de « Wegener », Polyarthrite rhumatoîde)
  • Dysimmunité oculaire :
    • Choriorétinopathie de type Birdshot
    • Choroïdite multifocale
    • Ophtalmie sympathique
    • Syndrome d’Irvine-Gass
  • Infections :
    • Virales en particulier le virus de l’Herpes
    • Bactériennes, parasitaires ou mycotiques
  • Tumeurs :
    • Lymphome Primitif oculocérébral non hodgkinien
  • Idiopathique :
    • Pas de cause retrouvée et aucune atteinte extraoculaire

Traitement de l’OM uvéitique

Les causes spécifiques infectieuses et néoplasiques font l’objet en première ligne de traitements ciblés.

L’OM inflammatoire bilatéral, chronique et récidivant, est volontiers traité de façon systémique, en premier lieu souvent par la corticothérapie.

Pour en éviter les effets secondaires systémiques, la voie locale c’est-à-dire sous-conjonctivale, sous-ténonienne ou intravitréenne est largement utilisée. Elle est puissamment efficace mais sa durée d’action est limitée (médiane de récidive à 5 mois) et son cortège de complications hypertensive et cataractogène peut être limitant en matière d’uvéites chroniques qui durent des années, obligeant le praticien à évaluer la balance bénéfice-risque pour le long terme.

Les autres limitations des IVT de dexaméthasone retard ou de triamcinolone, sont la contre-indication en cas d’infection intra-oculaire active ou récidivante, par le virus de l’herpès ou la toxoplasmose. D’autre part, le traitement au coup par coup lors de la survenue des poussées semblent grever le pronostic visuel davantage que les traitements cherchant à éviter les récidives.

C’est pourquoi, en cas d’uvéites bilatérales chroniques récidivantes compliquées d’OM, la voie systémique est privilégiée visant à traiter la poussée actuelle et à limiter le taux de récidives inflammatoires.

Les effets secondaires de la corticothérapie sont bien connus et redoutés. Ils sont au mieux prévenus par des mesures hygiéno-diététiques mises en place par une prise en charge collégiale. Si la corticodépendance est au-dessus de 0.2 mg/kg/jour, les associations thérapeutiques immunosuppressives ou immunomodulatrices sont effectuées selon un schéma proche d’un algorithme convenu.

Les immunosuppresseurs conventionnels comprennent les inhibiteurs de la calcineurine (cyclosporine, tacrolimus), les antimétabolites (azathioprine, méthotrexate [MTX], mycophénolate mofétil [MMF]) et les agents alkylants (cyclophosphamide, chlorambucil). Les traitements comprenant soit de l’azathioprine, la cyclosporine A, le MTX ou le MMF ont permis une diminution de 80 % de survenue de l’OM au cours des choriorétinopathies de type birdshot. Le MMF a montré une efficacité à long terme faible avec un taux de rémission de 50 % et l’apparition d’OM chez 37 % des patients traités.

Les effets secondaires des immunosuppresseurs comprennent les effets oncogènes, le risque infectieux accru ainsi que les insuffisances médullaires ou gonadiques induites.

De plus chaque molécule a une toxicité tissulaire propre ; celle de la cyclosporine A, particulièrement active sur l’OM inflammatoire, est rénale et nécessite une collaboration étroite entre ophtalmologiste et néphrologue.

Les agents immunomodulatoires
Les immunomodulateurs contiennent les immunoglobulines polyvalentes et les interférons alpha et bêta.

Les immunoglobulines polyvalentes
Les immunoglobulines polyvalentes ont montré un effet modéré sur l’acuité visuelle augmenté de 2 lignes dans la moitié des yeux qui avaient une acuité visuelle initiale ≤ 20/30. L’OM était amélioré dans la moitié des yeux.

Plusieurs paramètres limitent l’utilisation de ce traitement en particulier parce que d’origine humaine, et donc une sécurité directement liée aux connaissances actuelles, et son coût est élevé. Les immunoglobulines polyvalentes ont l’autorisation de mise sur le marché de l’AMM pour la choriorétinopathie de type birdshot.

Les anticorps anti-TNF et anti-TNFR
Les anticorps monoclonaux anti-TNF incluent l’infliximab, l’adalimumab, et le golimumab. La protéine de fusion avec le récepteur soluble du TNF (Etanercept®) a été impliquée dans la survenue d’uvéites et est donc peu utilisée dans cette indication. L’infliximab a été montré efficace en quelques jours sur l’uvéite de la maladie de Behçet. Une revue sur les anti-TNF au cours de la maladie de Behçet a montré une réponse clinique ophtalmologique dans 89 % des 174 patients issus de 16 études prospectives avec un suivi médian 16,2 mois. La combinaison de l’infliximab avec azathioprine ou cyclosporine A est apparue supérieure à l’infliximab en monothérapie. Les anti-TNF sont utilisés dans de nombreuses étiologies d’uvéites en particulier au cours de la polyarthrite rhumatoïde, de l’AJI, des spondylarthropathies, de la sarcoïdose et choriorétinopathie de type birdshot.

L’étude prospective VISUAL I a comparé l’adalimumab au placebo au cours des uvéites actives chez 239 patients, avec une décroissance rapide de la corticothérapie systémique. L’étude montre un risque d’échec au traitement, réduit de moitié au cours des uvéites actives, intermédiaires, postérieures ou panuvéites traitées par adalimumab ; le délai de récidive a été trouvé globalement doublé, passant de 13 semaines sous placebo à 24 semaines sous adalimumab. L’efficacité n’a pas été démontrée sur les uvéites antérieures.

L’étude VISUAL II qui concerne les uvéites quiescentes chez 261 patients a montré l’absence de récidive sous adalimumab au cours de l’étiologie de la maladie de Behçet. Le risque d’échec thérapeutique est réduit de 43 % sous adalumimab par rapport au placebo. D’autre part plusieurs études rétrospectives concourent à montrer une efficacité sur l’OM chez environ la moitié des patients à 6 mois.

Le golimumab apparaît intéressant sur l’OM uvéitique au cours de la maladie de Behçet, l’AJI dans des séries petites numériquement.

Les effets secondaires des anti-TNF sont essentiellement constitués par la réactivation de tuberculose latente ou d’autres infections. Des lupus induits ont été décrits. L’oncogénicité en particulier avec la survenue de lymphomes T hépatospléniques agressifs est suspectée.

Autres nouvelles biothérapies
Plus récemment, d’autres AC monoclonaux, comme les anti-IL-1, -2, -6 et -17, ont été utilisés au cours des uvéites réfractaires.

Le tocilizumab, anticorps monoclonal humanisé bloquant l’action des récepteurs de l’interleukine 6, a été montré très intéressant au cours d’OM uvéitiques réfractaires.

Le rituximab, AC monoclonal anti-CD20, semble davantage intéressant au cours des sclérites et de la granulomatose avec polyangéite (maladie de Wegener).

Les thérapies par interféron
Les interférons sont des cytokines intracellulaires, aux propriétés immunomodulatrices, antivirales et antiprolifératives. L’efficacité de l’IFN alpha 2a sur l’OM uvéitique a été montrée de façon prospective et randomisée par l’étude BIRDFERON, d’efficacité similaire à la corticothérapie à 4 mois. IFN alpha est particulièrement intéressant en cas de maladie de Behçet pour laquelle le taux de récidives uvéitiques a été trouvé divisé par 6, par comparaison aux périodes antérieures où le traitement était composé d’autres immunosuppresseurs.

IFN-β a été montré efficace sur l’OM au cours d’une étude prospective et randomisée, versus le MTX. L’épaisseur maculaire moyenne était diminuée de 206 μm sous IFN et augmentée de 47 μm sous MTX.

Les effets secondaires des IFN sont multiples et en limitent l’usage. Ces effets secondaires doivent être gérés de façon collégiale et le patient doit bénéficier d’un accès facilité à l’équipe soignant

Bénéfices des injections intravitréennes
Les injections intra-vitréennes de corticoïdes sont largement utilisées, très efficaces, mais présentent un potentiel cataractogène et glaucomatogène non négligeable chez les patients jeunes, porteurs d’uvéites chroniques. De plus leur efficacité est transitoire avec une médiane de récidives de l’OM uvéitique à 5 mois.

D’autres molécules ont été proposées par voie intravitréenne, en particulier le MTX et le sirolimus.

Le MTX injecté à la dose de 400 μg a montré une bonne réponse avec un contrôle prolongé de l’inflammation intra-oculaire dans 73 % des yeux injectés avec un délai moyen de récidive à 17 mois, sans confirmation par des études ultérieures. Le MTX en IVT est essentiellement utilisé pour le traitement des lymphomes avec une localisation intra-oculaire avec des effets secondaires de toxicité épithéliale cornéenne.

Le sirolimus a montré une faible efficacité sur l’OM uvéitique.

En cas de néovaisseaux inflammatoires, l’intérêt de coupler l’IVT d’anti-VEGF à un traitement puissant anti-inflammatoire administré par voie systémique ou sous-ténonienne de triamcinolone a été suggéré.

Conclusion

Le traitement de l’OM uvéitique est en plein essor avec de nouvelles molécules en développement pour voie intra-vitréenne, et l’apparition de nouvelles biothérapies, au mieux évaluées par des études prospectives, et randomisées. La succession des traitements immunosuppresseurs ou immunomodulateurs sont le plus souvent administrés selon l’algorithme proposé. Plusieurs études sont en cours pour mieux prendre en compte l’étiologie dans les décisions thérapeutiques successives.

Lexique

AJI = arthrite juvénile idiopathique
BHR = barrières hémato-rétiniennes
FA = fluorescein angiography = angiographie à la fluorescéine
HLA (cf HLA B27) = human leukocyte antigen = antigènes des leucocytes humains
ICGA = Indocyanine green angiography = angiographie au vert d’indocyanine
IVT = injection intravitréenne
IFN = interféron
MMF = mycophénolate mofétil
MTX = méthotrexate
OCT = optical coherence tomography = tomographie de cohérence optique
OM = œdème maculaire
retinal map = carte rétinienne
TNF = Tumor Necrosis Factor
TNFR = TNF Receptor = récepteur du TNF
VEGF = Vascular Endothelial Growth Factor = Facteur de croissance de l’endothélium vasculaire

La bibliographie de cet article est disponible sur demande auprès d’Inflam’Œil.

Pour aller plus loin

Voir aussi le dossier spécial Uveitis : Œdème maculaire.

 4 décembre 2021 par  webmestre
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